29.11.06

L'argent a-t-il une odeur ?

Il était une fois un empereur romain issu de la plèbe, grand organisateur et redresseur des finances impériales dilapidées par Néron sous le règne duquel eut lieu le grand incendie de Rome. Vespasien régna de 69 à 79 après J.-C. et, en « bon » gouvernant, n'eut de cesse de multiplier les taxes et impôts. L'un d'eux devait faire florès à double titre. Il s'agit de l'impôt sur les urines, humaines et animales, collectées dans de grandes urnes d'argile et utilisées par les teinturiers comme source d'ammoniac pour traiter les peaux et fixer les teintures. Sous le nez de son fils, Titus, qui protestait contre cette taxe nauséabonde dont se moquait le peuple, Vespasien aurait agité des pièces de monnaie en disant : « Non olet », « cela ne sent rien ». D'où l'expression « pecunia non olet », « l'argent n'a pas d'odeur ».

Dix-sept siècles plus tard, les « barils d'aisance », disposés aux quatre coins des rues de Paris, devinrent de petites constructions sous l'impulsion du comte Claude-Philibert de Rambuteau. D'abord appelées « colonnes Rambuteau », ces toilettes publiques devinrent très vite les fameuses « vespasiennes ». Mais Vespasien avait tort. L'argent a bel et bien une odeur. Et une étude récente de chercheurs allemands apporte de surprenants éclaircissements et un début d'explication paradoxale : les pièces de monnaie ont une odeur bien qu'elles ne sentent rien.

Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une odeur ? On pourrait dire que c'est le souvenir d'une rencontre avec une molécule volatile. Il en existe quelque 300 000 différentes. Et l'homme est en moyenne capable d'en distinguer 10 000. Le bourdon, par exemple, monte, lui, à 30 000. Le système olfactif est un peu comme un « oeil » muni de millions de facettes capable de « voir » les molécules volatiles. Transportées par l'air, elles atteignent la muqueuse olfactive (4 à 5 cm2 de tissu au fond des fosses nasales). Les cellules de cette muqueuse portent à leur surface des récepteurs qui sont comme des serrures, chaque cellule ayant son propre type de serrures. L'homme possède environ un millier de serrures différentes réparties sur 10 millions de cellules olfactives (contre 1 milliard chez le chien). La molécule volatile odoriférante joue le rôle de clé. Lorsqu'elle trouve « sa » serrure, elle s'y insère. Ceci déclenche, dans le neurone correspondant, un signal électrique qui va gagner le bulbe olfactif du cerveau. Là se trouve un millier de « centres intégrateurs » qui vont « classer » ces informations puis les envoyer au cortex cérébral. Là, elles seront combinées pour former un « motif odorant » qui sera classé dans deux grands « classeurs », les bonnes et les mauvaises odeurs.

Mais pour pouvoir reconnaître un aussi grand nombre d'odeurs, le système olfactif s'est fait mathématicien. Attention les neurones. L'équation de base est : un récepteur olfactif (la serrure) peut reconnaître plusieurs molécules odorantes (les clés) et une même molécule odorante peut être reconnue par plusieurs récepteurs olfactifs. La reconnaissance de l'odeur va donc se faire par la combinatoire. Comme si le souvenir d'une odeur était un coffre dont la combinaison d'ouverture est l'activation d'un certain nombre de neurones olfactifs bien précis. Si chaque récepteur peut s'activer pour trois molécules différentes et qu'il y ait un millier de récepteurs différents, plusieurs millions de combinaisons d'identification sont possibles. Les découvreurs de ce système, les chercheurs Richard Axel et Linda Buck ont d'ailleurs reçu le prix Nobel de médecine 2004.

La reconnaissance d'une odeur est aussi liée à sa concentration. En la matière, l'homme n'est pas champion du flair. Les chiens ont une capacité à détecter une odeur de 300 à 10 000 fois plus faible que l'homme et les rats de 8 à 50 fois. Les poissons, les insectes, les oi­seaux sont également de « grands nez », contrairement (est-ce étonnant ?) aux mammifères marins, dauphins et baleines. Chez l'homme, au seuil de détection en dessous duquel on est « aveugle » aux odeurs se produit le phénomène que l'on appelle l'« odeur indéfinissable ». Comme si l'image mentale de l'odeur était floue. On ne peut mettre un nom dessus.

La subtilité du système olfactif ne s'arrête pas là comme viennent de le démontrer des chercheurs allemands du Virginia Tech de Blacksburg. Ils ont ainsi analysé l'odeur émise lorsqu'un humain touche des pièces de monnaie ou tout autre élément métallique. Chacun connaît cette « odeur métallique » caractéristique. Mais l'analyse a montré qu'il n'y avait en fait aucune molécule proprement métallique dans cette odeur qui n'est donc qu'une illusion. Celle-ci est créée par des réactions chimiques d'éléments organiques présents sur la peau (sueur, corps gras, etc.) au contact du métal (le composant clé le plus caractéristique s'appelle 1-octène-2-one). Odeur humaine d'épiderme qui sera associée par le cerveau au métal.

Ces chercheurs proposent même une explication au fait que le sang ait lui aussi une odeur métallique car l'hémoglobine, qui transporte l'oxygène, possède des molécules de fer. Ce qui aurait pu « faciliter » la vie des chasseurs préhistoriques dans leurs traques pour retrouver des animaux ou des adversaires blessés. En ce temps-là, on se laissait donc bien guider par le nez mais pas « au pif ».

Source: Jean-Luc Nothias - Le Figaro 29.11.2006

26.11.06

Eloge du bon sens

Notre monde malade d’inconstance et de délaissements souffre d’une autre affection bien cruelle : l’absence de larges espaces ouverts au dialogue et au travail partagé. Où trouver une aire de réunion dans laquelle la rencontre et l’échange seraient encore possibles ? Ne pourrait-on commencer par la chercher dans le sens commun ? Ce bon sens désormais si précieux et si rare.

Prenons les dépenses militaires par exemple. Chaque jour, le monde consacre 2,2 milliards de dollars à la production de mort. Plus précisément, le monde consacre cette fortune colossale à promouvoir de gigantesques parties de chasse où le chasseur et la proie sont de la même espèce, et dont sort vainqueur celui qui aura occis le plus grand nombre de ses congénères. Neuf jours de dépenses militaires suffiraient à procurer nourriture, éducation et soins à tous les enfants de la Terre qui en sont dépourvus.

A priori, cette débauche financière constitue une flagrante violation du sens commun. Et a posteriori, qu’en est-il ? La version officielle justifie ce gaspillage en raison de la guerre contre le terrorisme. Mais le bon sens nous dit que le terrorisme lui en est extrêmement reconnaissant. Nul besoin d’être grand clerc pour constater que les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont produit sur le terrorisme un considérable effet de dopage. Les guerres relèvent du terrorisme d’Etat, le terrorisme d’Etat se nourrit du terrorisme privé, et réciproquement...

Les chiffres ont été publiés récemment : l’économie américaine se redresse et croît de nouveau à un rythme satisfaisant. Selon les experts, sans les dépenses liées à la guerre en Mésopotamie, cette croissance serait nettement moins forte. En quelque sorte, la guerre contre l’Irak constitue une excellente nouvelle pour l’économie. Et pour les morts ? Le sens commun se fait-il entendre par la voix des statistiques économiques, ou par la voix de ce père meurtri, Julio Anguita (1), lorsqu’il dit : « Maudites soient cette guerre et toutes les guerres » ?

Les cinq plus grands fabricants et vendeurs d’armes (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) sont les Etats qui jouissent du droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Que les garants de la paix mondiale soient également les plus importants fournisseurs d’armes de la planète, n’est-ce pas une insulte au bon sens ?

A l’heure de vérité, ce sont ces cinq pays qui commandent. Ce sont également eux qui dirigent le Fonds monétaire international (FMI). La plupart d’entre eux figurent parmi les huit Etats qui prennent les décisions déterminantes au sein de la Banque mondiale. Ainsi qu’au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où le droit de vote est prévu mais jamais utilisé.

La lutte pour la démocratie dans le monde ne devrait-elle pas commencer par la démocratisation des organismes prétendument internationaux ? Qu’en dit le sens commun ? Il n’est pas prévu qu’il émette un avis. Le bon sens n’a pas le droit de vote, et guère davantage droit à la parole.

Une grande partie des crimes les plus atroces et des pires préjudices commis sur cette planète sont perpétrés par l’entremise de ces organismes (FMI, Banque mondiale, OMC). Leurs victimes sont les « disparus » : non pas ceux qui se sont perdus dans la nuit et le brouillard de l’horreur des dictatures militaires, mais les « disparus de la démocratie ». Ces dernières années, en Uruguay, mon pays, comme dans tout le reste de l’Amérique latine et les autres régions du monde, on a vu disparaître les emplois, les salaires, les retraites, les usines, les terres, les rivières. Même nos propres enfants ont disparu, forcés d’émigrer à la recherche de ce qu’ils ont perdu, reprenant en sens inverse le chemin d’émigrants de leurs aïeux.

Le bon sens nous oblige-t-il à subir ces douleurs évitables ? A les accepter, en nous croisant les bras, comme si c’était l’œuvre fatale du temps ou de la mort ?

Acceptation, résignation ? Force est d’admettre que, peu à peu, le monde devient moins injuste. Pour prendre un exemple, la différence entre le salaire de la femme et celui de l’homme n’est certes plus aussi abyssale qu’autrefois. Mais, au train où vont les choses, c’est-à-dire pas bien vite, l’égalité salariale entre hommes et femmes aura lieu dans 475 ans ! Que conseille le bon sens ? D’attendre ? Il n’existe aucune femme, à ma connaissance, qui pourrait vivre aussi longtemps...

La véritable éducation, celle qui émane du bon sens et qui mène au bon sens, nous enseigne à lutter pour récupérer ce qu’on nous a usurpé. L’évêque catalan Pedro Casaldaliga (2) a une longue expérience des années passées dans la forêt brésilienne. Et il dit que, s’il est vrai qu’il vaut mieux enseigner à pêcher qu’offrir un poisson, en revanche, rien ne sert d’enseigner la pêche si les rivières ont été empoisonnées ou vendues.

Pour faire danser les ours dans les cirques, le dompteur les dresse : au rythme de la musique, il leur frappe la croupe à l’aide d’un bâton hérissé de pointes. S’ils dansent correctement, le dompteur cesse de les battre et leur donne de la nourriture. Sinon, la torture continue, et, la nuit tombée, les ours retournent dans leurs cages le ventre vide. Par peur, peur des coups, peur de la faim, les ours dansent. Du point de vue du dompteur, cela n’est que pur bon sens. Mais du point de vue de l’animal brisé ?

Septembre 2001, New York. Lorsque l’avion éventra la seconde tour, et que celle-ci commença à craquer puis à s’effondrer, les gens se sont précipités en dévalant à toute vitesse les escaliers. Les haut-parleurs ont alors intimé l’ordre à tous les salariés de retourner à leur poste de travail. Quels sont ceux qui ont agi avec bon sens ? Seuls ceux qui ont désobéi eurent la vie sauve.

Pour nous sauver, se rassembler. Comme les doigts d’une même main. Comme les canards d’une même volée.

Technologie du vol collectif : le premier canard se lance et ouvre la voie au second, qui indique le chemin au troisième, et l’énergie du troisième fait s’envoler le quatrième, qui entraîne le cinquième, et l’élan du cinquième provoque l’envol du sixième, qui donne de la force au septième...

Lorsque le canard éclaireur se fatigue, il rejoint la queue de l’essaim et laisse sa place à un autre, qui monte au sommet de ce V inversé que les canards dessinent dans l’air. Tous prendront à tour de rôle la tête et la queue du groupe. D’après mon ami Juan Díaz Bordenave (3), qui n’est pas « palmipédologue » mais qui s’y connaît, aucun canard ne se prend pour un supercanard s’il vole devant, ni pour un sous-canard s’il est en queue. Les canards, eux, n’ont pas perdu leur bon sens.


Source: Eduardo Galeano - Le Monde Diplomatique (Ecrivain uruguayen. Auteur, entre autres, de Sens dessus dessous. L’école du monde à l’envers, Homnisphères, Paris, 2004.)

18.11.06

Blogosphère, blogosphère est-ce que ...

Il ne s'agit pas de la réplique d'anthologie du chef d'oeuvre de Marcel Carné mais d'une expérience originale en cours. La blogosphère est-elle réelle ? Quelle gueule a-t-elle au juste ?
Pour essayer de répondre à cette question, un premier test de viralité pure de la blogosphère francophone, une démarche empirique a été lancé le 16 novembre.

La blogosphère est-elle un mythe? Quelle puissance virale est la sienne ? Existe-t-elle ailleurs que dans l’imaginaire de quelques papes des blogs ? La blogosphère a-t-elle pour seule demeure Technorati ? C'est ce que se demande Blogospherus.

Le principe est simple : "Un premier message est déposé sur un blog. Aucune autre forme de publicité sera faite pour indiquer l’existence de Blogospherus. A partir de cette unique bouteille jetée sur cet unique blog, chaque blogueur découvrant ce message devient libre d’être un connecteur. Il peut signaler son existence à Blogospherus, il peut signaler l’existence de Blogospherus" explique Blogospherus.

Tout repose sur le système du Trackback, instrument de la connectivité blogosphérique.

Pour signaler son existence à Blogospherus, un blogueur poste un message sur son blog annonçant l’existence de Blogospherus, et envoyant un trackback vers ce message :

http://www.blogospherus.net/wp-trackback.php?p=3

"Chaque lecteur de ce nouveau message, s’il est blogueur lui-même, peut alors continuer la chaîne des connecteurs. L’expérience permettra de visualiser, par la succession des trackbacks, le chemin blogosphérique parcouru par le message originel. Une cartographie de ce chemin sera enfin construite, menant d’un blog à l’autre, reconstituant l’espace blogosphérique viral du Web francophone" précise Blogospherus.

L'expérience a eu comme point de départ le blog de Thierry Crouzet sans qu'il y soit pour quelque chose. Personne ne peut mesurer évidemment l’impact qu’aura ce test mais tarte à la crème 2.0 ou authentique approche "d'intelligence alter-connective " gageons qu'il rejoindra Arletty dans les anals du web. "L’avenir n’est pas écrit". "Le temps des connecteurs est arrivé" et nous avons tous besoin de rêve et de poésie pour agir.

17.11.06

Chirac, la bonne blague

Ce n'était donc que ça, Chirac ? Un brave gars, un peu déplacé sous les ors de la République. Un agité sur commande, manipulé par ses conseillers successifs. Une machine à conquérir le pouvoir pour le pouvoir, sans trop savoir qu'en faire ensuite. Un robot programmé pour tuer ses concurrents et ses compagnons, mais tellement attentionné pour les copains et les électeurs de Corrèze. Une erreur de casting, en somme. Une absence, un blanc de douze ans dans l'histoire de France. Voilà ce qui ressortait des deux soirées, proposées par Patrick Rotman sur France 2.

Le montage des témoignages d'une brochette d'anciens dignitaires de la Ve République, victimes, amis et séides mélangés, composait le récit d'un étrange festival de meurtres compulsifs, de gaffes attendrissantes et de rendez-vous manqués. Guéna, ancien président du Conseil constitutionnel, interrogé sur ce qui restera du bilan de Chirac, et demandant sans honte à son intervieweur, comme pris de court par une impossible question : vous pouvez m'aider ? Bianco, ancien secrétaire général de l'Elysée de Mitterrand, racontant comment, pendant la cohabitation, Chirac avait failli appeler Mitterrand «mon général», avant de se reprendre. Moscovici, ancien ministre cohabitationniste de Jospin, racontant comment, en visite en Russie, il ne savait quoi inventer pour éviter la corvée de visite du musée de l'Ermitage avec le couple Chirac. Il finit par prétexter, auprès de Bernadette, qu'il n'a «plus rien à [se] mettre» . Alors, Chirac : si vous voulez que je vous prête une chemise...Plutôt que les récits eux-mêmes, et le commentaire de Patrick Rotman, le plus étonnant, le plus terrible, était, dans la bouche des interviewés, l'absence totale de respect pour l'(encore) Président. Vieux barons (Messmer, Pasqua, Séguin ou Guéna), ou socialistes plus ou moins jeunes, témoins de la période plus récente, on les eût dit rassemblés par la jubilation commune de raconter une bonne blague faite à la France. Allez, Françaises, Français, citoyens, camarades, compagnons, il est l'heure de s'attabler et de cracher le morceau : on vous mène en bateau depuis quarante ans. Celui que vous avez pris successivement pour un bulldozer, un facho, un tueur, le rédacteur de l'«appel de Cochin», ou le réducteur de la fracture sociale, celui que vous prenez aujourd'hui pour votre président de la République, eh bien, il est temps d'avouer comme il nous a fait rire, et frissonner, avec son culot, ses plaisanteries, ses exploits, ses gaffes.

Un documentaire réussi, ce n'est pas seulement la somme de ses révélations. C'est un ton, une couleur. Et le documentaire de Patrick Rotman resplendissait d'un étrange éclat de rire jaune, de bouche en bouche. Le rire rauque permanent de Philippe Séguin. Les cruels rires rentrés de Pasqua. La jubilation de l'ancien conseiller Jean-François Probst, vedette incontestée du montage, à imiter Chirac et Pasqua. Cette toile de fond, les bordées d'injures de la Chiraquie venaient la parsemer de quelques taches de couleur. Chirac Premier ministre, à propos du ministre de l'Intérieur Poniatowski : «Gros Cul, il fait péter l'emmerdomètre.» Pasqua, à propos de l'arrivée de Balladur dans les instances dirigeantes du RPR : «On vient de se récolter un sacré casse-couilles.»

Un tel documentaire, diffusé sur une grande chaîne, à 20 h 50, est sans précédent en France, s'agissant du Président en exercice. Qu'on imagine la même opération à la fin des règnes de Mitterrand ou Giscard : impensable. Pour ne rien dire de De Gaulle. Ce ton de dévoilement était jusqu'alors caché au creux des livres politiques, de Zemmour à Giesbert. Il fallait aller le découvrir en solitaire, dans la secrète expédition de la lecture, tandis que le JT, pour la galerie, maintenait debout la solennelle façade de la République Potemkine : le Président est arrivé hier soir à Pékin, il a eu un entretien de trois quarts d'heure avec son homologue, etc.

Justement, le lendemain, le JT de la même chaîne proposait le clip habituel sur le voyage en Chine du héros rotmanien. Lancement agencier de Pujadas ­ «Le président de la République a notamment rencontré les entrepreneurs français installés sur place» ­, plans sempiternels de bains de foule, toujours sans le son, pour ne pas risquer de capter les énormités chiraquiennes, commentaires pravdaïesques de l'envoyée spéciale ­ «Toujours le même objectif : entretenir et resserrer les liens avec la Chine» ­, extraits de la conférence de presse présidentielle ­ «Construire ensemble un monde harmonieux, un monde de paix, un monde de sécurité collective» ­ et en point d'orgue, ce «plateau» de l'envoyée spéciale : «Jacques Chirac s'inquiète en privé du raidissement actuel de la Chine vis-à-vis des droits de l'homme et de liberté de la presse, mais il considère qu'il s'agit d'un avatar qui sera bientôt dépassé, dans l'histoire d'une grande démocratie qui se cherche.» Rassurez-vous, bonnes gens : les inquiétudes «en privé» resteront «privées». Les yeux encore embués des révélations des soirs précédents, on rêvait que Pujadas interrompe l'envoyée spéciale. «Allez, Véronique, raconte-nous la vraie histoire, maintenant. Dis-nous si le président chinois a fait péter l'emmerdomètre, quels sont les vrais résultats du voyage, ce qu'il a vraiment dit sur le Tibet.» Mais non. Il faudra attendre dix ans.

Source: Daniel SCHNEIDERMANN - Liberation