2.2.15

E.O. Wilson et les religions

E. O. Wilson est professeur émérite à Harvard University et fondateur de la E. O. Wilson Biodiversity Foundation. Nous recommandons au lecteur d'y jeter un coup d'oeil.



Dans un livre récent, The Meaning of Human Existence (Liveright, 2014) le grand "sociobiologiste" E.O. Wilson(1) souvent cité sur ce site, constate que si la science actuelle sait à peu près d'où vient l'homme, à peu près aussi ce qu'est l'homme, elle est incapable de prédire où il va. Il ne s'agit pas de prédire l'avenir du cosmos ou du Système solaire, mais simplement de celui de l'humanité dans quelques décennies. Ce sujet suscite de vives discussions, y compris parmi les scientifiques.

Pour lui, l'avenir est noir. Il parle d'une véritable fin de l'anthropocène, cette ère de l'évolution de la Terre inaugurée avec l'arrivée des premiers hommes équipés d'outils. L'homme détruit la Terre à une vitesse dont il ne se rend même pas compte. Ceci d'abord par la destruction accélérée des espèces vivantes. Certains technologues pensent que ceci n'aurait pas d'importance, car il deviendra possible d' "humaniser"la Terre, en la peuplant d'hommes « augmentés » de multiples façons, sur le mode des cyborgs. Ces post-humains pourraient fabriquer eux-mêmes, sans faire appel à la nature, les produits dont ils auraient besoin(2).

En fait la biosphère est un système dont nul scientifique n'a encore bien appréhendé la complexité. C'est aussi un système fragile, ne recouvrant la surface de la planète que sur une épaisseur moyenne de quelques centimètres. Or l'homme et son esprit, qu'ils soient augmentés ou non par des prothèses robotisés, ne peuvent absolument pas fonctionner en dehors de cette biosphère. Elle les conditionne dans la totalité, sans même qu'ils s'en rendent compte.

La destruction de la biosphère va s'accélérer, jusqu'à un point de non-retour ou tout s'effondrera, les humains avec elle. De plus en plus de scientifiques l'affirment, mais ils n'attirent pas l'attention, ni des foules ni des décideurs. Ce fait étonnant, pour Wilson, peut s'expliquer par ce qu'il nomme la structure tribale de l'humanité. Toutes les idéologies et les religions ont développées des vues sur l'avenir, mais ceci au sein de groupes tribaux qui en ont fait des dogmes leur permettant d'assurer leur unité et de s'imposer aux autres. Les religions, qui sont présentes encore dans les 9/10 de l'humanité environ, imposent des visions de l'avenir, intéressant la vie ou une prétendue après-vie, qu'elles développent au sein de groupes tribaux refusant absolument de changer de vision afin de préserver leur cohésion.

Les religions, une malédiction

Wilson constate qu'aux Etats-Unis, pays où les sciences sont pourtant parmi les plus développées, il est pratiquement impossible de faire carrière si l'on n'affirme pas une croyance, quelque soit cette croyance. L'essentiel est de n'en pas démordre. Et pour ces croyants, aussi généreux et charitables soient-ils par ailleurs, tous ceux qui ne reconnaissent pas leur croyance ne mérite pas de vivre(3).

En fait, pour Wilson, ce qui est en train de faire périr l'écosystème, et avec lui l'humanité, ce sont les croyances religieuses. L'athéisme, pour lui, n'est pas vraiment une solution, car les athées (de moins en moins nombreux d'ailleurs malgré les apparences), se divisent aussi en tribus se construisant autour de « croyances » scientifiques incompatibles. Ceci malgré le fait que, comme le rappelle le grand cosmologiste franco-italien Carlo-Rovelli, la science ne devrait pas apporter de réponses définitives, mais questionner sans cesse ce qu'elle ne sait pas encore(4).

Or ce que Wilson nomme la pulsion théologique paraît inséparable selon lui de tout ce qui fait l'espèce humaine. L'humanité en tant qu'espèce, et les groupes humains à l'intérieur de cette dernière, ne peuvent pratiquement pas s'imaginer eux-mêmes sans faire appel à une vie après la vie et à un Dieu omniscient qui les accompagnerait en permanence. C'est l'une des raisons pour laquelle les humains, quels qu'ils soient et quelles que soient leurs activités, ne s'inquiètent pas de la fin probable de la biosphère. Dieu y pourvoira et de toutes façons, il y aura une vie après la vie.

Il en résulte que la survie de la biosphère passe, pour lui, par la disparition des croyances religieuses. Mais comme celles-ci ne disparaîtront pas d'elles-mêmes, il serait intéressant de rechercher les causes biochimiques, phéromones ou autres, provoquant leur installation dans les organismes. La tâche sera sans doute très difficile. Elle provoquera l'indignation de nombreuses personnes qui parleront d'une intrusion inadmissible des scientifiques dans le fonctionnement des consciences.

La tâche sera d'autant plus difficile que si l'on voulait réduire les pulsions profondes générant des croyances mortelles pour la Terre, il ne faudrait pas pour autant réduire d'autres pulsions et tendances poussant l'humain, et notamment le scientifique, à se poser des questions concernant ce qu'il ne sait pas. Les animaux ne sont pas religieux et paraissent très bien vivre sans cela. Mais ils ne s'inquiètent pas vraiment de ce qu'ils ne savent pas. Ils n'ont donc jamais pu développer les immenses édifices propres à la science moderne, dont tous ne sont pas meurtriers.


Notes (1) La sociobiologie étudie des fondements biologiques présumés des comportements sociaux recensés dans le règne animal, y compris au sein de l'espèce humaine.

(2) C'est la thèse que défendent, au sein de firmes comme Google, certains visionnaires en fait irresponsables. Ils en arrivent à pronostiquer l'immortalité.

(3) Wilson cite les chrétiens, mais il pourrait en dire autant des musulmans. L'auteur de ces lignes correspond parfois avec quelques ingénieurs ou médecins musulmans, censés être d'esprit ouvert. Pour eux, les réponses aux questions un peu difficiles se trouvent dans le Coran, à l'intérieur de passages incompréhensibles pour les athées, auxquels ils attribuent des sens précis.

(4) Voir Carlo Rovelli, "Par delà le visible", égitions Odile Jacob 2014. Nous en proposerons prochainement un aperçu.


Source: Jean-Paul Baquiast - 29/01/2015 © Automates Intelligents